Lettre envoyée par Amélie Piégay à Isabelle Saporta, extraite du site http://planeteco.blogs.lavoixdunord.fr/archive/2008/11/23/ecologie-et-feminisme-a-lille.html
« Accouchement à la maison, allaitement long, couches lavables, la liste est longue et vous horrifie. Elle décrit pourtant mon quotidien et me range donc dans la case de ces femmes que lécologie « renvoie à la maison »
Méchante écologie phallique qui opprime les femmes du XXIe siècle ! Devant une telle caricature, je me sens contrainte de vous répondre.
Repenser le monde du travail et de lagro-alimentaire
Je ne comprends pas votre cheminement. Vous listez les scandales sanitaires avec justesse, mais la seule conclusion que vous en tirez, cest quils vont sonner « le glas de la libération de la femme » et que Nicolas Sarkozy a raison de vanter les couches jetables ! De la même manière vous décrivez les difficultés pour les mères (mais ce nest pas nouveau !) de retourner au travail après un, deux, trois enfants, et vous incriminez lécologie. Pas un instant vous nenvisagez que ce soit le monde de lagro-alimentaire et du travail qui soient à repenser.
Mère contre enfant, père zappé
Vous opposez le bien de lenfant et le bien de la mère. Vous déniez tout rôle au père et vous évitez de trouver une solution qui permette de concilier les deux. Une main sur un il, vous semblez ne voir le monde que de lautre, comme sil était coupé en deux moitiés strictement inconciliables : les hommes dun côté, les femmes de lautre. Pour vous, la « tyrannie verte » ne concerne que les femmes et vous zappez totalement le rôle des hommes (tyrans ? absents ?). Bien sûr cest la femme qui donne le sein, mais ne me dites pas que vous ne connaissez aucun couple biberonnant où lhomme continue de ronfler pendant que la femme se lève pour préparer le bib ! Quant aux couches lavables, je vous signale que lon a inventé la machine à laver il y a un certain temps déjà.
Vous parlez de la quête éperdue dune vie 100 % bio et là, vous avez raison, ça nexiste pas. Il sagit à léchelle globale de la planète de faire pencher la balance du côté dune vie plus saine. Mais pourquoi parlez-vous sans cesse des mamans ? Je connais des centaines de papas qui ne sont pas tous chez les Verts et qui sont les premiers à sinquiéter et à se proposer pour offrir une vie plus saine à leurs enfants. Vous citez des chiffres sur la répartition des tâches ménagères
qui ne sont pas le reflet du peuple écolo où les compagnons des soi-disant femmes des cavernes sont au contraire particulièrement présents.
La modernité ne peut faire limpasse sur lhumain
Je me demande dans quel cerveau a pu naître lidée que lallaitement était une « aliénation totale » ! Pas un instant vous ne vous demandez si la mère peut y trouver du plaisir. Nous ne sommes pas des vaches quon trait, nous donnons un peu de nous-mêmes et nous recevons en échange. La modernité qui semble pour vous nexister que par lindustrie (machines, aliments artificiels, etc.), ne peut de mon point de vue faire limpasse sur lhumain. Lallaitement nest pas une aliénation, cest un lien au contraire. Un parmi dautres. A chaque couple (et jinsiste sur le fait que cest une décision qui se prend à deux) de faire son choix.
Vous citez des phrases excessives et caricaturales pro-allaitement, mais jen ai tout autant entendu dans lautre sens. Il ny a aucun intérêt à dresser dun côté des féministes de la première heure qui feraient passer leur émancipation avant leurs enfants, et de lautre des écolos arriérées qui sabîmeraient dans les couches. Quant à la liberté féminine dont parle Elisabeth Badinter, si elle ne passe que par des petits pots et des couches jetables, cest une bien piètre liberté.
Sur laccouchement à la maison vous enfoncez le clou en mettant en exergue un fait divers dramatique sans penser que lhôpital aussi est responsable de cas tout aussi tragiques (et rares heureusement) de décès de la mère ou de lenfant. Les femmes qui accouchent à la maison ne souhaitent pas la douleur et ny voient aucune dimension biblique. Pour moi, la douleur était le dommage collatéral dun meilleur respect
de moi en tant que femme. Pour moi, être ligotée dans la position la moins efficace avec des tuyaux partout était une négation de ma féminité et de mon statut dêtre humain. Je ne veux imposer ce ressenti à personne, je veux que cela puisse être mon choix comme dans dautres pays dEurope.
Bref notre prétendu retour à lâge de pierre se fait tout de même avec des machines à laver, des machines à pain, des sages femmes équipées de monitoring tout à fait modernes, des épilateurs (si, si !) et des ordinateurs reliés à internet
Nous, aujourdhui, nous savons
Vous dites que nous allons le payer cher ? Ce ton comminatoire semble oublier un petit détail
ce que nous payons cher aujourdhui, cest votre émancipation. Car cest au prix de votre liberté puis de la nôtre, hors de question de le renier, que nous avons hérité dune planète dévastée, polluée par des couches jetables, des meubles à bas prix et des aliments dénaturés qui vous ont permis de quitter les fourneaux auxquels des générations dhommes (et de femmes) vous avaient assignées. Attention, je ne critique pas votre combat, comment le pourrais-je, car dune part cest grâce à vous aujourdhui que je vote, que je travaille, que jai mon compte bancaire, etc. et que dautre part vous ne saviez pas. Vous avez fait confiance à lindustrie, à lagro-alimentaire qui vous serinaient daller travailler lesprit tranquille puisque les produits inventés pour vous soulager des corvées étaient dune totale innocuité. Vous ne saviez pas
mais nous, aujourdhui, nous savons. Bien sûr quil y a un retour de bâton, bien sûr quil est excessif. Il faudra un peu de temps pour arriver à une position médiane raisonnable, mais vos propos ny aideront certainement pas.
Nous sommes la génération de la réparation
Nous vivons dans un monde qui ne ressemble pas au vôtre. Nous avons perdu la légèreté, linsouciance, pour plonger dans un cauchemar où, comme vous le précisez justement, chaque jour apporte sa nouvelle annonce dune catastrophe sanitaire et environnementale à venir. Alors nous navons pas le choix. Vous avez été la génération de la conquête, nous sommes la génération de la réparation. Vous avez créé, nous devrons détruire
et réinventer.
Car lécologie nest pas ce triste enfer gris que vous décrivez. Cest notre réponse, notre combat à nous, femmes du XXIe siècle, pour tenter doffrir à nos enfants un monde vivable. Et si certaines dentre nous renoncent à travailler, ce nest pas à cause de lécologie, cest leur choix, tout simplement. Ce nest pas le mien. Des femmes déçues par le monde du travail qui sabîment dans la maternité ? Il y en a
autant que de femmes déçues par leur maternité et qui se jette à corps perdu dans le travail. Comme de nombreuses autres femmes, jai pour ma part choisi de consacrer une année ou deux de ma vie pour donner à mon fils mon amour, mon temps, un cadre de vie moins pollué et des aliments sains. Bientôt je vais reprendre ma vie de femme active en ayant la sensation davoir apporté ma pierre à lédification dune société différente.
Et non, je ne veux pas « tuer ma mère » qui avait arrêté de travailler pour nous élever, je veux faire mieux quelle : moccuper de mon enfant ET me réaliser au travail. Je veux les deux et je pense quune société moderne doit pouvoir moffrir cela.
Aidez-nous à construire le XXIe siècle
Vous vous trompez de combat. Lécologie nest pas plus lennemie de la femme que la voie dun retour au Paradis terrestre. Vous devez comprendre que le combat environnemental nest quune partie de la vision globale dune société où la femme a toute sa place (mère et femme). Il ny a pas de « morale écologique » qui condamne des « petites choses » ! Il y a une planète polluée sur 100 % de sa surface et sur laquelle les femmes comme les hommes ne pourront bientôt plus vivre. Il y a de nouveaux combattants, femmes et hommes, des militants de leur époque qui voient dans leur lutte une suite logique à celle des féministes de la première heure et non un antagonisme aussi violent. Mais cette lutte est vaine si elle est isolée. Ne nous jugez pas du haut de votre XXe siècle, aidez-nous à construire le XXIe siècle. »
Ecrit par : Céline Scavennec | 25/11/2008